A jamais, je serai « celle qui a vécu ça ».
J’ai appris à l’accepter avec le temps.
Pourtant, au début de ma thérapie, à mes 17 ans, je venais pour deux choses : ne plus avoir peur en permanence et ne plus être celle qui avait vécu « ça ».
Alors que je n’avais, à l’époque, qu’une mince vision de ce que rerésentait ce « ça ».
De ces deux objectifs, je n’en ai réussi qu’un : ne plus avoir peur en permanence.
D’abord, parce que je me suis rendue compte que je traduisais par la peur toutes les émotions qui m’étreignaient. Le panel de mes émotions s’est considérablement élargi au cours de ces dernières années : peur, toujours, mais aussi, anxiété, frustration, envie, colère, rage, contrariété, tristesse, mélancolie, jalousie, haine, terreur, fatigue, épuisement, stress ou encore joie et bonheur, en j’en passe.
Ensuite, parce que j’ai appris à ne plus être en hyper-vigilance. Le monde qui m’entoure n’est plus peuplé uniquement que de personnes qui me veulent du mal. Au contraire. Je me suis créé mon petit univers de gens merveilleux que j’aime.
Quant aux autres, ils peuvent toujours essayer de me toucher. Je sais me défendre.
Ils et elles ne me font plus peur désormais.
Au pire, ils me blessent un peu. Mais, jamais ils ne pourront m’atteindre profondément. Et surtout, je sais que des gens bienveillants seront là pour m’aider à panser mes plaies.
J’ai appris à écouter ma petite voix intérieure : celle qui me dit si les gens sont un danger ou non pour moi-même ou pour mes proches. Je ne me trompe que rarement. Et les rares fois où ça m’arrive, le leurre ne dure pas bien longtemps.
Voilà donc un premier objectif largement rempli.
L’autre, cependant, est loin d’être atteint. Pire : je ne souhaite plus l’atteindre.
Certes, je ne peux pas changer le passé et ce serait probablement pathologique de vouloir vivre comme si ça ne m’était pas arrivé.
Mais, au-delà de ça, je veux que l’horreur continue à être mon guide. Plus exactement me serve de balise pour ne pas reproduire. Et pour aider celles et ceux qui traversent les mêmes choses.
J’ai appris à aimer mes cicatrices. Elles font partie de moi. Mon histoire aussi.
Ce n’est pas un sentiment de fierté qui m’étreint. Jamais je ne serai fière d’avoir été utilisée comme un objet par des personnes abjectes. C’est autre chose.
Un sentiment d’appartenance. Je fais partie de « ces gens-là ». Celleux qui ont survécu au pire. Le pire n’étant pas si important dans sa forme.
J’appartiens à celleux qui ont gagné. Celleux qui ont surmonté la souffrance et l »horreur.
Certains parlent de résilience. D’autres de force. D’autres encore de courage.
Je n’ai aucune idée de ce que c’était précisément. Si ce n’est un sentiment d’urgence. Et une force de vie incroyable.
Une sensation de ne pas avoir le choix.
Survivre.
Quoi qu’il en coûte.
Survivre.
Et gagner le droit de vivre, un jour.
Et ce jour est arrivé.
Je l’ai mérité ce droit.
(Comme si c’était une question de mérite… Pourtant, ce sont les mots qui me viennent).
Je peux désormais cesser de survivre et vivre pleinement ma vie.