« la charte de biderman »

Petite, j’ai grandi dans un univers fou.

Pas de psychophobie, là-dedans. Mon beau-père était fou. Et violent. Les deux ne sont pas forcément liés. Malheureusement, chez lui, oui.

Et ma génitrice, bah, elle n’a aucun diagnostic. Peut-être est-elle seulement méchante, profondément narcissique ou que sais-je.

Toujours est-il que j’ai grandi dans la folie la plus pure.

Un même geste était tantôt le signe d’une gentillesse infinie tantôt la preuve irréfutable que j’étais une créature inventée par le Diable pour détruire le monde.

Si je devais résumer en quelques mots les 19 premières années de ma vie, je dirais : folie, violence, isolement, peur.

Nous étions isolés. Personne d’autre que notre famille ne pouvait franchir le seuil de la porte, à quelques rares exceptions près. Nos vacances se résumaient à regarder la télé, lire, avoir peur, manger et dormir.

En période scolaire, s’ajoutait l’école. Pour moi, l’école était mon ballon d’oxygène. J’y rejoignais la normalité. Mes amies, les profs. Le système.

Un système dans lequel on sait ce qu’on peut faire et ne pas faire. Un système dans lequel la piiiiiiire punition était un « bulletin spécial », c’est-à-dire une note dans notre dossier scolaire. Cela ne m’incitait pourtant pas aux bêtises, au contraire. J’étais heureuse de savoir quoi faire pour ne pas être en danger et je m’y exerçais passionnément.

Ainsi, je n’ai jamais fumé, je ne me suis jamais droguée. Mon premier verre d’alcool était encadré par des adultes en qui j’avais toute confiance. Ma première vraie cuite n’a eu lieu qu’à mes 23 ans. Garder le contrôle était, jusque là, une priorité absolue.

A la maison, notre vie était rythmée par les desideratas farfelus de mon beau-père. Soudain, la viande ne pouvait plus être cuite à la poêle mais seulement bouillie à l’eau. Un matin, le fauteuil ne pouvait plus être occupé que par des pulls. Plus tard, au contraire, le moindre morceau de tissu autre que les vêtements sur nos corps nous assurait l’enfer. Parfois, le seul repas autorisé était les pâtes bolognèse (et encore, c’est un grand mot puisqu’il s’agissait de la sauce tomate toute faite du Lidl agrémentée de haché de boeuf précédemment bouilli). Cette phase-là a quand même duré deux ans… Après quoi manger deux fois de suite le même repas était un danger mortel. Il fallait ab-so-lu-ment modifier la recette de la veille en cas de restes, ne fut-ce que par de la crème fraîche.

Il arrivait fréquemment que le changement s’opérait dans la tête de mon beau-père en notre absence. Le déluge me tombait alors sur la tête quand je faisais le geste ou disais le mot désormais honni. Je ne le voyais que rarement venir.

Plus exactement, je savais qu’un truc allait arriver. Mais il m’était quasiment impossible de prévoir où se situerait le changement.

Parfois, j’étais recroquevillée de peur dans le fauteuil et le changement se révélait une bonne surprise : désormais, on ne peut manger que de la nourriture venant d’un restaurant. Pendant quelques jours, alors, nous engloutissions des pizzas de Pizza Hut et des mitraillettes du sncack. Et soudain, sans crier gare, la seule nourriture autorisée était celle qu’il avait cuisinée. Ces périodes ne duraient jamais très longtemps. Il lui était beaucoup plus confortable que je cuisine moi-même.

C’est ainsi qu’à partir de mes 9 ans, sans aucune préparation, sans que je ne comprenne ni pourquoi ni comment, j’ai du préparer tous les repas de la famille.

Il lui arrivait de me présenter comme l’une des meilleures personnes qui soient pour lui et ses enfants. Mais la plupart du temps, j’étais « l’autre », celle dont on ne doit même pas prononcer le nom tellement elle est méprisable.

J’avais peur. Constamment peur. C’est d’ailleurs ce qui m’a motivée à pousser la porte de ma psy. Je voulais cesser d’avoir peur pour rien. Je n’avais pas compris que c’était là mon mécanisme de survie grâce auquel je peux raconter tout ça aujourd’hui.

Mon beau-père avait droit de vie et de mort sur moi. Littéralement. Je suis passée plusieurs fois à un cheveu de la mort. Notamment parce que je me suis défendue comme une lionne. Mais aussi, plus tard, parce que mes soeurs sont intervenues pour me sauver la vie.

Il payait des gens pour m’épier. Il connaissait le moindre de mes faits et gestes. Il n’était pas rare qu’il arrive en plein milieu du repas, m’enlevant mon assiette, la posant sur la table et me regardant les bras croisés et qu’il me demande qui était la personne avec qui je parlais à telle heure et à tel endroit. La plupart du temps, c’était un ami de l’école ou un.e prof.

Mais, j’étais terrifiée à l’idée d’être dehors avec des gens. Quand mon père venait me voir à l’école, je pleurais de mal de ventre les jours qui suivaient parce que mon beau-père allait sûrement le savoir et que j’allais sûrement le payer, ce qui arrivait la plupart du temps d’ailleurs.

Il décidait de tout. Qui on voyait, à quelle école on allait, ce qu’on mangeait, quand on mangeait. Mon libre arbitre était réduit à peau de chagrin.

Une part de moi lui a toujours résisté. Mais, une part de moi n’a pas eu la force de le faire. Notamment quand il m’a séquestrée deux semaines pour m’obliger à mentir au juge que mon père avait interpelé quand il avait appris les violences que je subissais. J’avais alors obtempéré aux menaces et dit que tout allait bien et que je ne voyais pas de quoi mon père parlait.

Aujourd’hui, je tombe sur une vidé de la chaîne youtube « Les fous de Normandie ». J’aime beaucoup cette chaîne qui vulgarise la santé mentale.

La vidéo parlait de « la charte de biderman » et des critères pour torturer quelqu’un et obtenir ce qu’on veut, sans frapper.

C’est exactement ce que j’ai vécu pendant 13 ans, avec des violences physiques et sexuelles en prime.

Je comprends à présent pourquoi, du haut de mes 12 ans, je n’aurais pas pu lutter.

Je me sens soulagée d’avoir compris. Et en colère de l’avoir vécu.

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