TW : mention de viols
Toute petite, j’ai fait une amnésie traumatique.
J’ai rangé dans un coin de ma tête l’horreur de mon quotidien pour me concentrer sur le beau, ce qui me faisait du bien et me construisait positivement.
Mais, lorsque ma mère a rencontré mon beau-père, je n’ai pas tenu ma langue.
En tout cas, pas à partir du moment où j’ai compris que ce n’était pas normal.
J’en ai parlé ici, mais, j’ignorais que c’était anormal et je ne l’ai découvert qu’à mes 9 ans, grâce à une amie précieuse.
De là, j’ai parlé.
A L., un ami d’abord. Avec qui je passais des heures, entre mes 9 et mes 10 ans.
Puis, lorsque j’ai changé d’école, à mes 10 ans, j’en ai parlé au centre P.M.S. (Psycho-médico-social). Pas de ma propre initiative au début. Je me souviens que j’étais dans la cour de récréation à jouer avec M.-L. quand la secrétaire, Mme C. est venue me dire que je devais me rendre au secrétariat pour un souci administratif.
Arrivée dans son bureau, l’assistante sociale du centre P.M.S. était là et désirait s’entretenir avec moi, en toute discrétion.
Nous nous sommes rencontrées plusieurs fois. Dans un climat de confiance, je lui ai révélé les agressions sexuelles dont j’étais victime ainsi que la violence physique, de par mon beau-père.
Elle m’a demandé si je lui faisais confiance et si j’oserais en parler à des gens qui pourraient m’aider. Elle m’a expliqué que cela entrainerait probablement une enquête, que mon beau-père irait peut-être en prison. On a parlé des conséquences. Mais, j’étais déterminée. Il fallait que cela cesse.
Nous nous sommes rendues, un matin à S.O.S. Enfant, à la rue Haute. J’ai été reçue par un psy. Un homme blond. Qui m’a posé quelques questions.
Notamment, il me demandait s’il y avait quelque chose de particulier à dire sur le sexe de mon beau-père. Je n’en avais aucune idée. Je n’avais pas vraiment de références…
Ensuite, j’ai du attendre dans le couloir. Soudain, ma mère et son mari étaient là. J’ai couru dans les bras de ma mère en lui demandant pardon, en lui disant que j’avais tout dit et qu’ils allaient poser des questions. Que j’avais peur mais que pensais que c’était le mieux.
Ils sont rentrés dans le bureau et je suis restée dans le couloir. Après un temps qui m’a paru durer une éternité, j’ai été invitée à retourner dans le bureau. Une enième question sur une particularité du sexe de mon beau-père à laquelle je n’ai pas su répondre.
Le verdict est tombé : j’étais jalouse de la naissance prochaine de ma seconde petite soeur et j’inventais des choses pour me rendre intéressante.
Nous sommes rentrés tous les quatre chez nous (avec ma petite soeur M. qui avait un an).
Les violences ont continué de plus belle. En toute impunité puisque personne ne prenait ma parole au sérieux.
(J’ai découvert, lors du début de ma vie sexuelle, que le sexe de mon beau-père est, en effet, atteint d’une malformation. Sauf qu’en l’absence de référence, j’ignorais que ce n’était pas la norme… Je rappelle que j’avais 10 ans lorsqu’on m’a posé cette question !).
Un an plus tard, des enfants du quartier ont déposé une plainte contre mon beau-père pour viol et attouchement. Les mêmes faits que moi. (Je le sais car je suis allée lire en cachette tout le dossier en possession de ma mère).
J’ai cru que là, enfin, ce serait fini ! Ils allaient forcément m’interroger. Je dirais la vérité. Je leur dirais aussi que j’avais déjà tout raconté au PMS et à S.O.S. Enfant. Quand ils vérifieraient, ils n’auraient plus aucun doute sur sa culpabilité. Il finirait en prison pour toujours et je serais enfin libérée.
Grossière erreur. Jamais je n’ai été interrogée.
Il a été détenu préventivement pendant 3 semaines. Chaque jour, je priais pour que les enquêteurs viennent me voir. En vain.
Mon dossier, à S.O.S. Enfant était classé avec mon nom de famille. Quand ils ont recherché des antécédents à son nom à lui, ils n’ont rien trouvé. Forcément. Je porte le nom de mon père.
L’un des gamins était atteint d’une maladie grave. Les traces de viol auraient pu être créées par le traitement qu’il prenait. Doute raisonnable.
Mon beau-père est relâché. L’enquête est clôturée.
C’était un an avant le scandale « Dutroux ».
Après cette histoire, il y a eu une accalmie dans les violences que je subissais. La peur de retourner en prison, sans doute. Mais, très vite, la violence a repris ses petites habitudes.
Deux ans plus tard, mon père apprend ces violences. Estomaqué, il entreprend des démarches pour avoir ma garde et qu’une enquête soit menée sur la famille, pour mes soeurs, à tout le moins.
Lorsque ma mère et son mari apprennent que je suis convoquée devant le Juge pour répondre aux accusations, ils m’enferment dans ma chambre, sans contacts avec l’extérieur. Pendant trois semaines, je ne peux parler à personne. Je reçois du pain sec et de l’eau. Je n’ai pour seule compagnie que mes livres et mes cahiers. Puis, l’école recommence. Ils n’ont d’autre choix que de me laisser y aller. Mais, les règles sont claires : je dois rentrer immédiatement, et si je parle de ça à quiconque, ils m’enfermeront là pour toujours.
Vers la fin de cet enfermement, je reçois une tranche de pastèque. Je pleure de joie. Je sers mon beau-père dans mes bras en pleurant de reconnaissance et de gratitude et en répétant « merci, merci, merci ».
Ils m’expliquent que lors de l’audition, ils m’attendront derrière la porte, qu’il sauront le moindre mot que je prononce et que si je ne dis pas que c’est un mensonge, ils m’enfermeront pour toujours.
Si, aujourd’hui, en tant qu’adulte, je repère le côté absurde et impossible d’une telle menace, du haut de mes 12 ans, après des semaines sans rien manger d’autre que du pain sec, je ne le perçois pas. J’obéis sans résistance. Je dis au Juge que c’est faux, que mon père ment.
Le juge se satisfait de ma réponse. Mon père perd définitivement tout droit de visite. Aucune enquête n’est menée.
Durant les 8 années qui suivent, je vois régulièrement Mme P. du centre P.M.S. Je n’ai plus aucune confiance dans les institutions. Je lui dis que si elle transmet la moindre parcelle de ce que je lui raconte, je dirai que c’est un mensonge. Je suis terrifiée à l’idée d’être séparée de mes soeurs. Ce n’est que grâce à leur présence et à leur amour que je survis.
Ma marraine (mon arrière-grand-mère) me soutient beaucoup en me permettant d’aller régulièrement chez elle mais aussi en me permettant de mentir en prétendant être chez elle pour aller voir mon père ou des amies. Mon père, avec qui je suis très distante, maintient coûte que coûte le lien avec moi. Je renoue petit à petit avec lui au point d’emménager chez lui à la fin de ma deuxième rhéto.
B., la maman de S. une de mes meilleures amies, est très présente. C’est elle qui organise chaque année mon anniversaire depuis mes 11 ans jusqu’après ma majorité. C’est elle aussi qui prend soin de moi, plus tard, lorsque je me retrouve à la rue. Elle est un précieux guide et un précieux soutien.
Je double ma rhéto à cause d’un échec. Un stupide échec. La veille de cet examen, j’ai été violée. Encore. J’aurais du aller chez le médecin et ne pas passer cet examen. Mais, c’était impossible de poser des mots sur « ça », à l’époque. Je passe cet examen et j’écris des choses absurdes. Il est clair, à me lire, que je ne suis pas dans mon état normal. Mais, voilà. L’écrit étant ce qu’il est, je suis en échec. 18/100 si ma mémoire est bonne.
J’introduis un recours interne, sur conseil de Mme P. Je propose de repasser l’examen oralement devant tout le jury de rhéto. Je connais la matière. J’étais juste incapable de me concentrer ce jour-là. La prof reconnait que ça ne ressemble pas à mon travail ni à mes compétences. Mme P., à qui j’ai donné l’autorisation, parle des violences que je subis et explique que si je double, cela mettrait en péril mon entrée à l’Université, seule porte de sortie que j’entrevois à l’époque.
Malgré tout, la décision reste ferme : je redouble.
En parallèle, mes soeurs sont à l’école. Les profs et le centre P.M.S. de leur école sont alarmés des conditions de vie de notre famille et des violences qui s’y jouent. Ils alertent les services sociaux à plusieurs reprises. Sans suite.
Plus tard, mes frères et soeurs sont dans des écoles différentes, des structures différentes. Chacune de ces structure interpellent les services sociaux. Sans succès.
Ce n’est qu’en 2008 qu’enfin, un dossier s’ouvre. Par hasard. Mes parents habitent alors un logement déclaré insalubre. C’est dans le cadre de cet insalubrité que le dossier est ouvert au S.A.J. (Service d’Aide à la Jeunesse). Mr. G, en charge du dossier, découvre un monde de violence insoupçonné. Avec des moyens très limités, il essaie d’aider au maximum mes frères et soeurs. Il compte beaucoup sur mon soutien. Je suis presque diplômée et j’ai l’air saine d’esprit. Je suis un pillier pour mes frères et soeurs.
Dès 2009, je demande que le dossier soit transféré au S.P.J. (Service de Protection de la Jeunesse). Il faudra attendre de nombreuses années avant que ce ne soit enfin le cas !
Puis, en novembre 2017, la libération : ma mère et mon ex-beau-père sont tous les deux déchus de leurs droits parentaux, tant à l’égard des enfants mineurs qu’à l’égard des majeurs. Plus aucun lien légal entre elle et moi !
En avril 2019, le plus petit de mes frères a atteint sa majorité. Nous essayons tous et toutes de nous construire un avenir plus serein et plus doux.
On ne s’est connues que brievement a l’universite…et j’ai toujours trouve que tu degageais une certaine aura, tres positive, tres inspirante…maintenant je te lis et je suis tres touchee. Je n’ai pas connu ce type d’experience. Mais en te lisant, j’ai un souvenir enfoui d’une amie qui est venue vers moi lorsque j’avais 6 ou 7 ans a la recre. On s est enfermees dans une piece. elle m’a raconte que sa soeur de 12 ans faisait la pute et qu’elle gagnait plein d’argent pour la famille. Un jour elle rentrait de l’ecole et elle a vu sa soeur avec leur beau pere dans le lit. Et sa soeur a mime » chut » a sa petite soeur pour que l’homme ne l’entende pas et ne la voit pas. Elle avait plein d’admiration pour sa grande soeur…Moi je ne savais pas quoi faire a cette epoque, je l’ecoutais et je voyais que cela lui faisait du bien que je l’ecoute…un jour elle est partie de l’ecole et je ne l’ai plus jamais revue.
Avec le recul, la culpabilite m’envahit et j’aurai du en parler pour la sauver.
Avec facebook, j’apprends que d’autres filles du village de mon enfance ont connu la meme chose que toi. Je suis ulceree. Maintenant mere, je sais que je serai capable de tuer pour proteger mes enfants de ce genre de monstres.
si ce blog peut te liberer ne fut-ce qu un chouia, je te souhaite bonne ecriture. Je t’apporte tout mon soutien.
Merci de ton commentaire. Oui, ce blog me fait du bien, et en même temps, me fait du mal. Je ne sais pas trop comment me situer. Du coup, j’y viens par à-coups.
J’ai envie de te dire que tu étais une enfant. Tu as fait du mieux que tu pouvais. Une écoute, c’est déjà merveilleux. Ne pas être seule et, surtout, se sentir crue, c’est tellement précieux (et rare). Alors, tu as déjà fait un pas énorme pour cette petite fille. J’espère pour elle et sa soeur qu’elles ont trouvé une aide d’adultes compétent.es. <3
Et oui, quand je regarde mes deux merveilleuses petites filles, je ne peux imaginer de réaction "proportionnée" si je devais apprendre qu'elles sont victimes de l'impensable... 🙁 C'est d'ailleurs pour ça que je suis très (trop aux yeux de certain.es) protectrice (même si je reste amèrement consciente que cette protection n'est probablement pas suffisante pour les protéger à 100 %).
Je t’ai lue…c’est incroyable et je ne trouve pas de mots assez forts pour qualifier cette injustice…tu devais être protégée et tu ne l’as pas été…😓 incompétence…politique de l’autruche…sujet tabou…juste horrible pour toi ma chérie…j’aurais aimé être là et pouvoir t’aider à l’époque. Je suis si fière de la merveilleuse personne lumineuse que tu es et de ta capacité de résilience…❤
Merci Maria ! <3
Je viens de te lire….j ai pris mon temps avant de me lancer pour les raisons que tu connais.
Je suis écœurée par les lacunes d aide aux enfants …si les adultes pouvaient les écouter….
Si tu savais le nombre de jeunes sdf que j ai croisé qui avaient des enfances sordides….
Je trouve qu en Belgique (entre autre) l enfance n est pas une priorité….et pourtant…..