Mes très chers kilos,
Cela fait maintenant quelques années que nous cohabitons, vous et moi.
Déesse, comme je vous ai haïs ! Longtemps, j’ai tout fait pour vous faire fuir.
J’ai multiplié les régimes. Privé mon corps de nourriture. Compté les calories. Puis, les points, du fameux régime WW.
Mais inlassablement, vous reveniez vous installer confortablement. Amenant avec vous des copains.
Plus on est de fous, plus on rit, sans doute.
Je riais jaune, cependant.
J’étais moche. Laide. Sale. Immonde.
Je croyais que c’était de votre faute.
Je pensais qu’il suffisait que vous partiez pour que cette immonde saleté disparaisse avec vous.
Puis, il y a une dizaine d’années, j’ai cessé de vouloir vous faire fuir. J’ai décidé d’apprendre à m’aimer et à vous aimer. Du moins, ne plus vous détester.
Le chemin n’a pas été simple. Il a plutôt été semé d’embûches.
Des hauts, des bas. Des retours en arrière aussi.
Probablement qu’il n’est pas fini d’ailleurs. Je vois devant moi encore une belle et longue route à parcourir.
Cependant, après 20 ans de thérapie, voilà que je me rends compte que ça y est : je m’aime.
Et aussi : je ne vous hais plus. J’ai même appris à apprécier votre compagnie et à me trouver jolie, parfois, malgré vous.
Récemment, j’ai aussi vu combien vous n’enlaidissiez pas mon corps, ma personne. Vous êtes là, c’est un fait. Cela fait sortir mon corps de la norme, c’est un autre fait.
Cependant, ce n’est pas vous qui me rendez belle ou moche.
Depuis ma plus tendre enfance, deux ou trois d’entre vous m’accompagnent. Mais, depuis que j’ai quitté le domicile familial, lieu de toutes les violences, vous êtes venus en nombre. 40 kilos en 1 an, c’était beaucoup.
En parallèle, les violences ont cessé. Puisque je ne vivais plus dans ma famille.
Je sens bien qu’une part de moi a associé votre présence à ma sécurité physique et sexuelle.
Mais, à présent, je sais aussi que ces deux évènements n’étaient pas liés. Un gros dérèglement hormonal a simplement chamboulé mon corps en même temps que commençait ma nouvelle vie.
Aujourd’hui, ce dérèglement hormonal est toujours présent mais en partie régulé.
Cela fait donc quelques années que vous auriez du me quitter.
Mais, une part de moi vous a gardé précieusement à mes côtés pour continuer à me sentir protégée. De la luxure, de la lubricité. De la violence. De la saleté. De la honte. Comme si vous pouviez empêcher qui que ce soit de me faire du mal. Comme si c’était ma « beauté » qui avait engendré la violence.
Je sais, maintenant, que le viol est une forme de domination et non de désir sexuel. Je sais que j’aurais pu être plus moche, plus grosse, plus laide, que ça n’aurait rien changé.
J’ai appris à me défendre depuis lors. Aussi bien physiquement que verbalement. J’ai appris à poser mes limites. A me respecter. Et à me sentir légitime.
Parfois, je mets quelques heures encore avant de me sentir légitime face à certaines situations inconfortables. Mais, j’arrive à reconnecter à cette légitimité, quoi qu’il arrive.
Désormais, vous n’avez plus besoin d’être là pour me rassurer.
Vous avez joué votre rôle, mes chers kilos. Car sans vous, probablement que je ne me serais pas sentie assez en sécurité pour laisser ma mémoire traumatique se réveiller.
Je vous remercie pour tout ce que vous m’avez apporté. Je vous en serai éternellement reconnaissante.
Je sais aussi qu’une partie de vous restera malgré tout, parce que mon corps est bien trop habitué à votre présence.
Mais, j’ai à coeur de vous rendre votre liberté.
Vous avez joué votre rôle. A présent, la pièce est finie. Les rideaux sont tirés. Vous pouvez rentrer chez vous.
Je ne cesserai jamais de vous aimer.
Mais, j’ai besoin de retrouver mon espace à moi dans mon propre corps.
Encore merci pour tout !
Votre dévouée Tayiam