Je me suis longuement posé la question. Avant de lancer ce blog. Avant même l’idée d’en lancer un.
Depuis longtemps, je parle. Certaines personnes en ont été mal à l’aise. Mais, je parle. Je n’ai jamais caché que je vivais des violences. Par contre, je n’ai pas forcément étalé au grand jour que j’en vivais non plus. Si la question se posait, j’en parlais. Sinon, cela pouvait passer inaperçu.
Parfois, on me reproche de vouloir instrumentaliser ma souffrance. Pour obtenir quoi au juste ? Mystère.
Jamais mon histoire ne m’a ouvert de portes. De nombreuses portes se sont ouvertes devant moi. Mais, pas parce que je parle de mon histoire. Pas non plus par pitié au vu de mon histoire.
Au contraire.
Une avocate chez qui j’ai postulé m’a affirmé que vu mon histoire, je ne pouvais pas travailler sur ces questions. Une porte qui se ferme. Comme de nombreuses autres.
(Pourtant, vu le nombre d’enfants concernés par l’inceste, je suis très loin d’être la seule potentielle avocate l’ayant subi…).
Le père d’une amie de secondaire m’a raccompagnée chez moi, un soir, seul. Et m’a demandé de ne plus jamais me confier à O. de ce que je vivais car c’était trop dur pour sa fille et que s’il l’avait protégée de toutes ces violences jusqu’ici, ce n’était pas pour que j’en amène par mes récits, même si ça devait être horribe que je vive ça… Une porte qui se ferme.
(Alors même que je n’avais pas confié le dixième des violences que je subissais à l’époque… )
(Et si je comprends la démarche de protéger son enfant, il aurait du faire quelque chose pour me sortir de là, mais, il a préféré faire l’autruche sur cette question.)
J’ai perdu quelques amies dont l’une m’a lancé « oh, ça va, arrête de te victimiser, t’as été violée, j’ai été plaquée par mon mec, on a tous nos problèmes » alors que j’essayais maladroitement d’expliquer l’état émotionnel dans lequel j’étais… Une porte qui se ferme.
Mais, alors, pourquoi parler si cela me ferme des portes ?
D’abord, parce que ces portes fermées sont peut-être une aubaine. Cela m’a peut-être permis d’éviter de perdre du temps et de l’énergie avec des gens qui n’en valaient pas la peine (ou pas… je ne saurai jamais).
Mais, surtout, pour deux raisons.
La première, c’est que ça me fait du bien. Oui, ça me fait du bien qu’on me reconnaisse le statut de victime. Pas pour me vautrer dedans. Mais, parce qu’une part de moi a besoin d’entendre que ce qui s’est passé n’était pas OK. Une part de moi se nourrit des attentions qu’on me donne quand on me dit qu’on est désolé de me lire, que c’est horrible ce que j’ai vécu et qu’on me soutient du fond du coeur. Parce que cette part de moi continue de douter. Cette part continue de penser qu’au fond, ce n’était pas si grave, qu’au fond, c’est seulement moi qui suis fragile et, surtout, que je ne mérite aucun amour ni aucune attention.
Alors, clairement, contredire cette partie de moi me fait du bien. Un bien que je n’imaginais pas avant de me confier ici et de recevoir plein de marques de soutien. Du petit mot au coup de téléphone. Toutes ces attentions m’ont porté au cours des moments les plus difficiles que j’ai traversés.
La seconde raison est que ma parole libère la parole de nombreuses victimes. Je ne compte plus le nombre de personnes qui se sont confiées à moi pour la première fois sur les violences qu’elles subissaient/subissent parfois encore. Et c’est précieux de pouvoir parler de ces violences pour interrompre le cycle et commencer à se reconstruire.
Alors, je parle. J’étale les violences que j’ai subies. Parce que je ne veux plus en avoir honte.
Que j’en parle ou non, je suis moi, pleinement moi. Et « ça » fait partie de moi.
Si ça me ferme des portes, j’en assume pleinement les conséquences. Parce que les portes restées ouvertes n’en sont que plus précieuses. Si ça participe à ce que la honte change de camp, alors, j’ai réussi mon pari. Et si ça aide d’autres à oser en parler, cela me conforte dans l’idée que je suis dans le bon.