J’ai toujours su que j’avais un passé empreint de violence.
Je me souviens avec précision de nombreuses scènes de violences physiques ou psychologiques. Je me les suis rejouées un nombre incalculable de fois pour voir comment j’aurais pu réagir, ce qui s’était passé, comment éviter ça la prochaine fois. J’avais besoin de comprendre.
Je me souviens aussi de violences sexuelles. Assez peu, mais, quand même.
Je me souviens de quelques scènes. La première, j’avais 6 ans, dans la salle-de-bain de mon agresseur, qui allait devenir le mari de ma mère et le père de mes frères et soeurs. Je pensais me souvenir avec précision de cette scène-là. Puis, lorsque ma soeur était bébé. Je me souviens de son regard pendant l’agression. Elle n’était pas encore en âge de parler. Puis, un jour d’été, au Maroc, lorsqu’il est entré dans mon lit. Enfin, je me souviens de sa dernière agression, à mes 19 ans, la veille d’un examen scolaire qui a déterminé mon échec et mon redoublement.
Je savais, donc, les violences sexuelles.
Ce printemps 2018, en tant que juriste et fondatrice d’une association de soutien aux droits des femmes, j’ai assisté à une formation de deux jours sur les violences sexuelles.
Douche froide. Des images. Des sensations. Je me suis mise à trembler, à avoir envie de vomir. Les mots « amnésie traumatique » sont lancés et traversent mon corps comme une épée. J’ai l’impression que mon coeur bat à l’envers. Je me ressaisis. Je suis entourée de parfaits inconnus. Il me faut garder bonne contenance. Sur le trajet de retour en train, je passe les deux heures à pleurer sans m’arrêter, faisant toujours barrage à ces images qui essaient de pénétrer mon esprit. Le lendemain, je retourne vaillament à la formation. J’en sors avant la fin.
Cette formation était pleine de nullités. Des sois-disant spécialistes des violences sexuelles qui balancent des généralités à l’emporte-pièce d’une violence extrême.
On a eu droit au pire : racisme, mysoginie, sexisme, homophobie, transphobie, et j’en passe. Beaucoup était à jeter. Trop pour que je puisse en retirer quoi que ce soit.
J’en retiens seulement ça : lorsque les évènements sont trop traumatisants, la mémoire devient filante et filtre les souvenirs. C’est un mécanisme de survie.
En thérapie, commencée il y a 15 ans, je parle de la formation avec ma thérapeute qui m’aide à déconstruire tout ce qui était problématique dans les propos tenus (les plus évidents comme le racisme ou l’homophobie, je les avais repérés, mais, il y avait aussi beaucoup de soucis dans le traitement psy des violences sexuelles).
J’ai osé, petit à petit, parler de ces flashs qui sont revenus.
D’un commun accord, nous avons décidé d’attendre l’été pour les travailler. Depuis début juillet, j’y suis.
Et je découvre que la mémoire est encore plus complexe et magique que je ne l’imaginais.
Au fur et à mesure de mon travail, des souvenirs ou des morceaux de souvenirs émergent. Et une fois qu’ils sont révélés, c’est comme s’ils avaient toujours été là. Comme si je ne les avais jamais oubliés.
Je prends note, après chaque séance, des souvenirs qui me reviennent. Sans ça, je serais incapable de dire ce que je savais et ce que j’ai re-découvert.
Mon histoire est jonchée d’évènements plus improbables les uns que les autres. J’ai décidé qu’il était temps pour moi de les écrire.
Ce blog sera donc remplis de récits qui peuvent être choquants ou réveiller des syndrômes de stress post-traumatiques. J’en suis navrée par avance.
« Et je découvre que la mémoire est encore plus complexe et magique que je ne l’imaginais. »
Un combat et un cheminement, où la mémoire serait une alliée plutôt qu’un piège?
Merci.
Oui. C’est exactement ça : elle a été une alliée (alors que j’ai cru qu’elle m’avait piégée).
Merci à toi ! <3