J’ai déjà plusieurs fois parlé de folie. Soyons pourtant clairs. Toutes les personnes folles ne sont pas violentes et toutes les personnes violentes ne sont pas folles. Il se trouve simplement que c’était le cas de mes agresseurs.
Mon beau-père, l’ex-mari de ma mère, a été diagnostiqué schizoïde à tendance paranoïaque. Au-delà des mots, au-delà de tout diagnostic psychiatrique que je ne saurais poser moi-même, il vivait dans un monde différent du mien.
Par exemple, il était persuadé que je n’étais pas un être humain. Il était persuadé que j’étais une chose. Une chose inventée par le diable pour lui faire du mal et détruire sa vie. Enfin, je dis le diable. Mais il s’agissait tantôt du mauvais oeil, tantôt du mal, tantôt du diable, ou toute autre manifestation démoniaque.
Oh, il ne croyait pas toujours que j’étais l’incarnation du mal. Cela venait par phase. Mais durant ces phases, les violences physiques étaient redoutables. À plusieurs reprises, il a essayé de me tuer. Sa justification d’alors était simple : quand je serais morte, tout le monde verrait que je ne suis pas humaine. Ainsi, il ne s’agirait pas d’un meurtre.
Étrangement, ce ne sont pas les phases que j’ai le plus mal vécu. Le plus difficile, c’était quand il m’aimait trop, au point de ne même plus s’apercevoir que j’étais une enfant. Et entre ces deux phases extrêmes, il y avait toujours une phase de violences psychologiques durant laquelle j’étais « l’autre ». Durant 13 ans, ma vie a oscillé entre ces quatre phases : violences sexuelles, violences psychologiques, violences physiques, violences psychologiques, violences sexuelles et ainsi de suite.
C’était difficile de ne pas finir par prendre pour vrai tout ce qu’il disait de moi. Surtout quand ma mère en rajoutait une couche. Fièrement, la tête haute, j’affirmais que j’étais quelqu’un de bien et que j’en valais la peine. Mais au fond de mon coeur, le doute était toujours présent. Il l’est encore. Alors, pour me convaincre, j’ai cherché à ne jamais faire d’erreur, à faire toujours les bonnes choses, à être quelqu’un de bien pour les autres, au détriment de moi-même.
Je me suis perdue dans tout ça. Je n’existais plus. Seuls les autres avaient de l’importance. Il m’a fallu des années de thérapie pour seulement savoir quelle coupe de cheveux j’aimais bien, sans tenir compte ni des goûts de ma mère ni des injonctions de la société. Et ceci n’est, évidemment, qu’un exemple parmi des centaines d’autres.
La folie de mon beau-père m’a fait énormément de mal. Celle de ma mère, pire encore. Et pourtant, c’est la société et sa normalité qui m’ont laissé grandir dans un milieu d’une violence rare sans jamais intervenir.