L’argent

TW : violences sexuelles, prostitution infantile

Depuis des mois, je m’enfonce dans toujours plus de travail. Je fuis dans l’hyperactivité au point de me perdre.

Je ne suis plus bonne à grand-chose car tellement épuisée et dépassée, je ne fais que survoler artificiellement la moindre de mes actions.

Ma psy m’a interpelée sur cette hyperactivité. Evidemment.

Je fuis. Quoi, au juste ? Telle est la question.

Je fuis le trop plein d’émotions. Je fuis les souvenirs fugaces qui reviennent et qui tentent de m’entraîner au fond du trou avec eux. Je fuis ma vie qui me terrifie.

Et la meilleure fuite que je connaisse, c’est le travail. Oh, pas le travail rémunéré. Parce que je fuis aussi l’argent. Non, non. Le travail bien bénévole.

Et je m’obstine à rendre toute rémunération presque impossible en même temps que je m’en lamente.

Il me faut pourtant me rendre à l’évidence. Je fuis l’argent. Aussi bien le fait d’en avoir que d’en donner. Je suis en retard dans presque toutes mes factures (alors même que j’estime que tout travail mérite salaire). Mais je suis aussi en retard dans presque tous mes documents administratifs, me faisant perdre, parfois, des sommes d’argent considérable, notamment quand je ne rentre pas tel ou tel formulaire dans les délais.

Je me suis beaucoup questionnée sur mon rapport à l’argent. Clairement, au sein de l’association que j’ai fondée, l’argent devient un enjeu crucial. Nous sommes arrivées à un moment de notre développement où nous avons besoin d’argent pour continuer. Et pourtant…

Rien ne m’est plus souffrant que compléter une demande de subsides.

Et puis, soudain, à travers une discussion avec une amie proche qui se reconnaîtra, l’évidence. L’argent, c’est sale. C’est dangereux.

Ma mère a vendu mon corps contre de l’argent.

« Tu sais, ma puce, on a besoin d’argent pour faire les courses. Sois gentille, s’il te plait ».

Traduction : « Prostitue-toi pour que je reçoive assez d’argent ».

Et sagement, j’ai obéi. J’étais trop jeune pour contester de toute façon. Et puis, la pauvre. Elle avait besoin d’argent pour payer les factures. Et puis, je lui coûtais cher aussi, à vouloir manger tous les jours. A grandir, nécessitant de remplacer ma garde-robe. Je me sentais coupable de coûter autant d’argent.

Faire ce qu’elle me demandait, c’était la moindre des choses. D’autant que la plupart de ces hommes ne me faisaient pas souffrir. Ils se contentaient de toucher mon corps sans le blesser ou d’exiger de moi que je touche le leur. Était-ce si grave ?

Certes, je le vivais mal. Certes, j’avais envie de vomir, à chaque fois. Je me dégoûtais. Je me sentais sale et dégueulasse.

Mais, n’était-ce pas moi le problème ? Pourquoi étais-je aussi dérangée au point de si mal vivre ce qui n’était qu’un juste retour des choses ?

J’espère que le lecteur ou la lectrice avertie perçoit l’ironie de mon propos. Ce n’est évidemment pas ce que je pense, aujourd’hui, en tant qu’adulte. Mais, ne vous y méprenez pas. C’était mot-à-mot ce que je pensais quand j’étais enfant.

Et j’ai associé ce sentiment de dégoût de moi à l’argent et à tout ce qu’il représente.

Avoir de l’argent me remplit de joie pour la sécurité que ça m’amène et me remplit, en même temps, de dégoût pour l’horreur que ça implique.

Être actrice de l’argent, en payant mes factures ou en réclamant ce qui m’est dû est une vraie souffrance, que je fuis de toutes les manières imaginables.

Je sais qu’il s’agit là de quelque chose à travailler. Mais, j’ignore encore comment le faire, malgré les conseils très avisés de mon amie…

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