Il m’arrive souvent de croiser l’une ou l’autre personne qui me demande comment je vais. Il m’arrive même de devoir rendre des comptes sur mon arrêt-maladie à ma supérieure hiérarchique.
Et souvent, je lis l’incompréhension de mon interlocuteur ou interlocutrice. Quatre ans que je suis en arrêt. Est-ce vraiment justifié ? Vais-je si mal que ça ?
Dans l’esprit des gens (et moi la première, il y a encore quelques années), quelqu’un en dépression allait mal TOUT LE TEMPS. C’était linéaire comme sentiment. Comme si soudain, on sentait tout le malaise du monde, dans une sorte de gouffre bien profond dont on remonte lentement maus sûrement en allant chaque jour un peu mieux que la veille.
Sauf que ce n’est pas ce que je vis.
Je vis des sortes de montagnes russes. Je peux évaluer mon bien-être ou mal-être global à une période (et c’est très fluctuant). Et puis, dans ces courbes globales, il y a plein de petits pics ou de petits gouffres bien bien intenses.
Par exemple, en ce moment, je vais mal. Mon état d’esprit global n’est pas positif et ce n’est pas que mon syndrome prémenstruel. Une grosse dispute familial, il y a plus de deux mois maintenant, m’a replongée dans un gros gros mood dépressif dont je peine à sortir. Cela n’empêche pas que j’ai plein de moments de joie intense. Comme lorsque mes filles m’ont offert leurs cadeaux de fêtes des mamans tous plus kitschs les uns que les autres mais tellement plein d’amour.
Comme lorsque mon oncle m’a prise dans ses bras, lui que je n’avais plus vu depuis plus de dix ans.
Comme lorsque je participe à un atelier lors duquel je transmets mon savoir. J’adore faire ça et ça me nourrit intensément. Mais, cette sensation reste beaucoup trop brève et ne surpasse pas le puits sans fond de ma tristesse et de ma colère.
Je sais. J’ai l’air d’être capable de reprendre mon travail de fonctionnaire. A vrai dire, même moi, j’en ai parfois l’impression. Mais, en vrai, si je vais pas trop mal ces dernières années, c’est parce que je respecte scrupuleusement mon rythme. C’est même chiant pour les associations partenaires avec qui je collabore, des fois.
Mais, je suis incapable de tenir un rythme dans lequel je me lève plusieurs fois par semaine à 6h30 du matin. Je suis incapable de tenir un rythme où je ne dors pas 10 à 12h par nuit. Je suis incapable de ça. Je le sais, parce qu’à chaque fois que je m’efforce de le faire, même pour des sujets qui me passionnent, je m’effondre. Mon corps me lache et j’ai envie de mourir.
J’essaie de ne pas trop partager tout cela avec mes proches.
Je pensais que c’était pour les protéger. Mais, à vrai dire, je partage ça très peu aussi avec mes psy. Je crois que c’est moi que je protège au fond. Ne pas dire que ça va mal, c’est un peu comme aller bien, non ?
Spoiler alert : non.
Je m’enfonce lentement dans une spirale négative depuis deux mois et je n’arrive pas à identifier comment en sortir. Alors, quand on me demande comment ça va, je souris et je dis que ça va. Parfois, je me permets un “ça va bof” avec celles et ceux qui sont capables de l’entendre sans m’assaillir de propositions d’aides plus inadéquates les unes que les autres.
Je sais. Je sais qu’il suffit de faire ça ou ça. Il suffit que je rajoute des rappels sur mon téléphone pour ne pas oublier les anniversaires. Il suffit que je regarde tous les jours mon agenda pour ne pas oublier mes rendez-vous. Il suffit que je me crée une routine pour affronter le ménage quotidien. Il suffit que je prenne RDV chez le kiné (et que j’en trouve un formé à ma pathologie) pour diminuer les douleurs. Il suffit que je me donne à moi-même l’amour que ma mère aurait du me donner pour me sentir mieux. Il suffit que je boive moins de soda. Il suffit que j’appelle le Centre PMS pour finaliser l’inscription de ma fille. Il suffit que je signe le document de l’assurance. Il suffit que je paie mes factures à temps. Il suffit que je me fasse un budget mensuel pour ne pas être à découvert tous les mois… Oui, il suffit.
Mais, tous ces petits pas insignifiants pour beaucoup sont insurmontables pour moi…
Je ne suis pas idiote. Je sais ce que j’ai à faire. Mais, je n’y arrive tout simplement pas. Je peux passer la journée entière derrière mon écran à lister dans ma tête tout ce que je dois faire sans entamer une seule tâche. Et tout en me maudissant intérieurement d’être aussi stupide.
J’ai beau savoir quels sont les mécanismes en oeuvre, je me sens dépassée. Noyée. Dans ma propre vie insignifiante.
Je suis terrifiée à l’idée de replonger dans le néant qu’était mon coeur en été 2018. Je suis terrifiée à l’idée de retoucher à une partie des violences que j’ai subies. Je suis terrifiée à l’idée de ne plus savoir payer mes factures parce que je serai virée de mon boulot actuel sans autre possibilité de travailler. Je suis terrifiée à l’idée de ne pas être une assez bonne maman.
Je suis terrifiée.
Et fatiguée.
Fatiguée de porter tout ça alors que mes agresseurs vivent leur plus belle vie, sans se soucier le moins du monde de toutes ces choses insignifiantes pour eux.
Fatiguée d’être en colère.
Fatiguée de ne pas être guérie.
Fatiguée d’être terrifiée.