Emma - Part. 1
» Il y a deux choses qui abrègent la vie : la folie et la méchanceté «
Emma n’arrivait pas à décoller les yeux de la citation qui s’affichait sur son écran.
Elle venait d’ouvrir un mail qu’un ou une destinataire inconnue lui avait envoyé la veille.
Ce mail ne contenait rien si ce n’était cette citation.
Dans la tête d’Emma, deux groupes de pensées se bousculaient. Qui avait bien pu lui envoyer ça ? Et quel était le sens de la vie, au fond ?
C’est comme si ce mail lui était adressé expressément. D’ailleurs, il l’était. Cette adresse mail recevait peu de spams car elle était renseignée nulle part ou presque sur le net.
» Il y a deux choses qui abrègent la vie : la folie et la méchanceté «
Elle resta sans doute une vingtaine de minutes sans bouger. Peut-être plus. Le temps avait cessé d’exister.
Etait-ce une menace ?
Elle sentit la peur grimper le long de sa colonne vertébrale.
La folie, elle l’avait côtoyée de près. Elle savait combien elle pouvait être destructrice. Elle avait la chair de poule rien qu’au souvenir de sa mère qui s’interposait entre elle et son père dans ses crises. Elle en ressortait parfois avec des blessures graves dont Emma se sentait inexorablement coupable malgré les câlins rassurants que sa mère ne cessait de lui prodiguer.
Depuis lors, elle avait passé le plus clair de son temps à étudier le cerveau humain pour comprendre son passé. Elle avait finit par obtenir un diplôme de psychiatrie. Elle exerçait dans une clinique bruxelloise depuis quelques années.
C’est ainsi qu’elle avait pu observer que l’absence de folie était tout aussi dangereuse que la folie elle-même. Parfois plus, même.
Il n’empêchait que la petite fille en elle s’exprimait à l’intérieur d’elle-même à la lecture de ces quelques mots.
» Il y a deux choses qui abrègent la vie : la folie et la méchanceté «
Elle s’attarda sur l’adresse mail de l’expéditeur mais elle ne lui offrit aucune information pertinente.
Les mots étaient simplement jetés dans le corps du mail, sans aucune mise en forme. Ils étaient repris tels quels comme objet.
Elle reprit le contrôle de sa respiration puis de son corps et décida d’expédier le mail dans sa corbeille.
L’écran de sa boîte mail ré-apparut.
Et son corps sauta un battement.
Un nouveau mail était arrivé. Identiquement le même. Mais daté d’aujourd’hui cette fois.
Elle sentit à nouveau que son corps lui échappait. Elle reconnaissait les signes de la mémoire traumatique. Mais, elle n’identifiait aucunement ni pourquoi ce mail activait cette mémoire ni à quoi elle était liée.
A nouveau, elle envoya le mail dans sa corbeille et décida d’éteindre son ordinateur. Elle avait besoin d’une pause. Elle s’installa dans son fauteuil favori, avec un plaid sur les genoux ce qui attira immanquablement Grenouille, son chat noir à longs poils qui affectionnait particulièrement de se lover sur les genoux de son humaine de compagnie lorsqu’elle lisait. Elle ouvrit son roman et poursuivit sa lecture commencée quelques jours plus tôt.
Mais, elle dut se rendre à l’évidence. Son cerveau n’enregistrait pas le moindre mot. Après avoir relu trois fois le même paragraphe, elle se résolut à arrêter.
Elle caressa Grenouille qui ronronnait de plaisir. Elle laissa son regard divaguer sur le parterre de fleurs qui ornait son jardin sans même essayer de suivre le fil de ses pensées qui continuaient à se bousculer dans sa tête.
Elle se réveilla quelques heures plus tard, les muscles endoloris d’être restés trop longtemps dans la même position.
Grenouille était toujours installé sur ses genoux mais s’étira puis sauta promptement au sol dès qu’elle se mit à bouger.
La nuit était bien avancée. Son horloge indiquait 2h48. Elle décida de se blottir dans ses draps sans tarder et s’échappa rapidement dans un sommeil lourd dont elle émergea au petit matin.
La citation de la veille l’avait hantée toute la nuit. Ses rêves en avaient été empreints. Mais après quelques minutes, elle ne s’en souvenait déjà plus.
Emma sentit son estomac gargouiller. Elle s’était endormie sans manger et son corps se rappelait à son bon souvenir. Elle attrappa un sachet de pain, du beurre et du fromage et se fit un petit déjeuner comme elle les aimait.
Aujourd’hui, elle n’avait rien prévu de particulier, si ce n’était prendre soin d’elle et profiter de sa belle demeure.
Cependant, les mails de la veille ne cessaient de lui revenir en tête.
» Il y a deux choses qui abrègent la vie : la folie et la méchanceté «
Elle ne savait qu’en faire. Elle ne voulait pas vérifier sur sa boîte mail si elle en avait reçu un troisième. Elle savait que cette information ne lui servirait pas à grand chose.
Elle chassa ses sombres pensées de son esprit pour se concentrer sur de jolies choses.
Après sa douche matinale, elle jardina un peu. Elle occupa sa journée de toute une série d’activités qui lui faisaient le plus grand bien : méditation, lecture, soins. La journée touchait à sa fin et elle se prépara une tasse de chocolat chaud à déguster devant sa série du moment : Fringe.
Elle se dirigeait vers son canapé moêlleux lorsqu’elle fut plongée dans un souvenir d’enfance. En un instant, c’était comme si elle avait à nouveau six ans. Sa mère venait de lui tendre un chocolat chaud et son père avait vu dans ce geste la preuve d’un complot visant à le tuer. Il était entré dans une rage folle et avait tenté de frapper sa fille à coup de pelle.
Emma cligna des yeux et se retrouva à nouveau dans son salon. Elle était adulte, ici et maintenant. Elle tremblait comme une feuille. Son pyjama et le sol était maculés de chocolat chaud et d’éclat de faïence. Elle se rendit compte qu’elle avait du lâcher sa tasse lorsqu’elle avait plongé dans son souvenir, bien mlagré elle.
Comme une automate, elle prit soin de rammasser tous les éclats, de laver le sol et de se changer.
Elle n’avait aucun souvenir de cette scène, quelques instants plus tôt. Mais, à présent, elle se rappelait du moindre détail. C’était l’une des premières fois que son père réagissait aussi violemment. A partir de ce jour-là, plus rien n’avait plus jamais été comme avant.
Jusqu’au jour où il s’était donné la mort. Emma avait alors seize ans.
Lorsqu’elle s’installa enfin dans son canapé, elle fut surprise de sentir ses joues humides. Elle pleurait. Son père lui manquait. Oh, pas cet homme violent. Non. Celui qu’il était avant ça. Avant la maladie. Avant la folie. Et la méchanceté.
Etait-ce ça qui l’avait amené à abréger sa vie en se donnant la mort ?
Nul ne le saurait jamais. Il n’avait pas laissé de lettre avant de mourir. Il avait seulement décidé, un jour, que la vie n’en valait plus la peine. Et Emma avait du apprendre à vivre sans lui.
- Tayiam