Accumulation de mauvaises nouvelles

L’année touche à sa fin et je n’en suis pas mécontente.

De manière un peu superstitieuse, j’ai toujours appréhendé le monde comme s’il se divisait en avant et après : avant et après la nouvelle année, avant et après la rentrée des classes.

Par conséquent, j’attends avec impatience que cette année 2022 se termine afin que l’année nouvelle puisse enfin commencer sur de nouvelles bases.

Ces dernières semaines ont, en effet, été d’une intensité rarement égalée.

Ma vie est une sorte de yoyo émotionnel dans lequel j’essaie de me dépêtrer tant bien que mal. Mais, les derniers jours surpassent largement tout ce que j’ai pu connaître jusqu’ici.

Une part de moi sait que je ressens désormais les choses dans leur intensité réelle car je dissocie de moins en moins. Et si c’est une bonne chose en soi, ça rend quand même l’expérience rude à vivre parce que je vis à 100 % chaque désagrément sans échappatoire possible. Or, je n’ai pas appris à dealer avec ça.

Parmi les nouvelles qui me touchent, certaines sont, heureusement, joyeuses. Pourtant, l’intensité de cette joie est amoindrie par les mauvaises nouvelles qui l’entourent.

Dans le désordre et sans hiérarchie, on a appris que mon chéri perdait pas moins de 700 euros de revenus mensuels sans raison apparente. Nous avons d’abord pensé que c’était lié au fait que mon petit frère avait été domicilié chez nous. Mais, les dates ne coïncident pas tout-à-fait. Serait-ce une erreur ? L’énigme est encore entière. Et les démarches administratives pour avoir le fin mot de l’histoire semblent ne plus finir.

Comme si ça ne suffisait pas, mon employeur, l’Etat belge, a décidé de me mettre en pension temporaire à cause de ma maladie jugée trop longue. Me voilà avec un quart de mon salaire, au lieu de la moitié. Autant dire qu’il ne nous est plus possible d’affronter nos factures de base et que j’ai renoncé à la plupart des soins dont j’ai pourtant besoin, comme la kiné.

Notre voiture est tombée en panne en plein milieu de l’autoroute, le soir le plus glacial de cet hiver. Mon chéri et nos enfants se sont retrouvés bloqués par moins 10. Heureusement, des ami.e.s de la région sont venu.e.s chercher les enfants pour les faire dormir chez elleux et les conduire à l’école le lendemain. Mon chéri, quant à lui, a patienté près de 4h avant que la dépanneuse n’arrive.

La voiture de remplacement a été livrée 36 heures plus tard que prévu. Or, le vendredi qui a suivi la panne, c’était grève des transports en commun dans notre plat pays. Si je soutiens à 100 % le mouvement de grève, je dois bien admettre que c’est mal tombé à titre personnel. Une maman de l’école de mes filles a généreusement accepté de les chercher et de les ramener à la maison. On était sensé pouvoir garder la voiture pendant 5 jours ouvrables. Pourtant, on a dû la rendre avant… Sans solution de remplacement. Nos ami.e.s sont encore une fois venu.e.s à la rescousse en nous prêtant une des leurs.

Evidemment, j’ai aussi attrapé la crève au même moment.

Et quand le vendredi soir, j’ai voulu prendre une douche bien chaude pour me remettre un mini peu de ces émotions, on s’est rendu compte qu’on n’avait plus de mazout.

Ma fille aînée m’a confié vivre à nouveau du harcèlement à l’école et a longuement pleuré dans mes bras. Puis, elle m’a dit qu’elle ne voyait pas très bien au tableau et qu’il lui fallait probablement des lunettes. J’ai appelé des ophtalmo de ma région qui pouvaient me proposer des rendez-vous… en 2024 ! Heureusement, une amie m’a filé le contact d’un chouette ophtalmo dans le Brabant qui a des délais raisonnables et on a même pu profiter d’un désistement. Il n’y a plus qu’à lui acheter des lunettes…

Ma fille cadette, autiste « asperger » (on débattra une autre fois de cette appellation problématique), souffre de plus en plus au cours de gym à l’école et aurait besoin d’un accompagnement spécifique que propose, justement, l’équipe pluridisciplinaire dans laquelle exerce sa neuro-psy. Mais, je n’aperçois pas trop comment je peux payer un tel suivi dans les conditions actuelles.

Ça a donc bien évidemment été le moment d’apprendre que ma psy, qui me suit depuis mes 17 ans (j’en ai 38) prend sa retraite dans six mois. Et aussi de subir un entretien avec un des pouvoirs subsidiant mon association et d’entendre une pluie de reproches (probablement justifiés) sur le dossier que j’ai remis alors que c’était la toute première fois que je me pliais à l’exercice.

Tout cela n’aurait pas été aussi drôle si je n’avais pas, en plus, été en période prémenstruelle pour traverser tout ça. Vous savez, la période du mois lors de laquelle la moindre contrariété me donne envie d’être morte.

J’ai cru plusieurs fois retomber dans des épisodes de catatonie comme celles que j’ai connues il y a quatre ans, quand mes souvenirs sont revenus en masse. Mais, les émotions, aussi intenses étaient-elles, se sont apaisées petit à petit. Je les ai accueillies, je leur ai laissé la place. Elles se sont exprimées puis elles s’en sont allé. Comme le font toutes les émotions qui ont l’espace de s’exprimer.

Je suis terriblement fière du chemin parcouru ces dernières années.

Il y a quelques temps encore, le tiers du quart de ces épreuves m’auraient anéantie. Aujourd’hui, je les traverse. Non sans larmes, non sans souffrance. Mais, sans effondrement. Même si je reste sur le fil et que je sens que la limite n’est pas loin.

Je sens qu’il ne faudrait pas grand-chose pour replonger dans la souffrance. Et que si les souffrances s’accumulent, je finirai par sombrer dans la folie que j’ai déjà connue. Je reste donc attentive à ne pas m’exposer à certaines situations trop difficiles pour moi. Pour me protéger. Pour rester debout. Malgré tout. Malgré les épreuves.

Petit-à-petit, je me place au centre de ma propre vie. Je me sens parfois nulle de le faire. Je me reproche alors de ne pas être assez présente pour mes ami.e.s, surtout quand ils/elles ne vont pas bien. Pourtant, je sais qu’être présente maintenant pourrait impliquer de ne plus l’être pendant des mois après.

J’ai reconstruit une vie que j’aime aujourd’hui. Je n’ai pas envie de la perdre. J’aime les gens qui m’entourent. J’aime le métier que je me crée à travers mon association. J’aime la famille que j’ai choisie.

Il me faut apprendre à trouver le juste équilibre pour me préserver tout en étant là pour celleux que j’aime. La juste dose. L’exercice n’est pas simple. Mais, je m’y attelle.

Avec mes enfants déjà. Passer du temps avec elles. Sans dépasser ma limite, celle qui me fait devenir la mère que je n’aime pas : qui râle pour un rien et s’énerve pour tout.

Avec mon chéri. Avec mes ami.e.s.

Parfois, certain.e.s, qui me lisent peut-être, me trouvent trop distante ou se demandent pourquoi cette période de difficultés s’éternise. Mais, la psyché humaine a son propre rythme. J’ai longtemps voulu la forcer à aller plus vite. Je sais aujourd’hui que c’est inutile. Ça peut, certes, donner l’illusion qu’on va mieux. Mais, cette illusion ne dure qu’un temps.

Or, moi, aujourd’hui, je veux aller mieux. Vraiment mieux. Pas seulement en surface. Mais, en profondeur. Alors, je prends mon temps.

Des souvenirs refont surface régulièrement. Mon corps se marque alors des traces du passé. Je saigne même parfois. J’essaie de me rappeler des éléments, de réintégrer ces souvenirs dans ma mémoire intégrative. Avec ma psy, on travaille sur les émotions qui me traversent et sur ce qu’elles disent de la petite fille que j’étais et de la façon dont elle (je) a (ai) vécu les choses. Il me faut parfois des semaines avant de pouvoir exprimer à nouveau ces infos. Mais, elles sont là. Elles font leur bout de chemin en moi.

Cependant, j’ai beau savoir tout ça, savoir que ça prend du temps, que les émotions passent, que je survivrai, ça n’en rend pas les choses moins souffrantes pour autant.

Au moment où je reçois une mauvaise nouvelle ou bien lorsqu’un souvenir resurgit à ma mémoire, mon être tout entier est plongé dans le désarroi et la souffrance, l’impression que je ne m’en sortirai jamais, que ce sera toujours aussi difficile et souffrant que ce que je ressens, là tout de suite, et que je ne survivrai pas à toute cette souffrance. Je plonge dans un abîme de noirceur, dans lequel j’ai envie d’être morte, de disparaître. Parfois, même, je sens que physiquement, je n’arrive plus à parler, à articuler le moindre son. Des larmes coulent le long de mes joues et mon corps est comme une poupée de chiffons, vide de toute énergie. J’ai envie d’être morte. Du plus profond de mon être, je veux que tout s’arrête.

Puis, la douleur s’estompe. D’abord légèrement. Insensiblement. Mais, je finis par ne plus avoir envie d’être morte. Mes membres reprennent vie. Ma conscience revient à la raison. Je peux alors impulser des éléments de rationalité à mes émotions. Me rappeler certains mantras comme : « tout passe ».

Alors seulement, j’arrête de repousser l’émotion. Je l’accueille. Je l’entends.

Parfois, je dois prendre le temps de parler à la petite fille qui est en moi et qui est terrorisée. Au travers d’une méditation, je plonge au cœur de moi-même et rencontre cette enfant pour lui parler.

« Regarde, petite Tayiam, tu as des ami.e.s qui t’aiment. Oui, tu traverses une période de galère financière mais tu as des perspectives joyeuses qui se profilent pour 2023. Et tes proches sont prêt.e.s à se serrer la ceinture pour que tu ne sois pas à la rue. C’est fini, petite Tayiam, cette période où tu ne pouvais compter que sur toi. Regarde. Tu es entourée de gens qui t’aiment et te respectent. Tu es en sécurité. Auprès de gens que tu as choisis. Tout va bien. C’est une période merdique, mais tu vas bien. Tes enfants aussi. »

« Petite Tayiam, tu es terrorisée parce que des douleurs à l’anus signifient que tu as été violée et te rappellent cette période atroce. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas ça, ma petite Tayiam. Tu as été constipée et tu t’es blessée l’anus en poussant un peu trop fort. Ce n’est rien, ma puce. Dans quelques jours, ce sera fini. Tu es en sécurité. Plus personne ne peut te faire du mal, à présent. »

Alors, mes angoisses se calment. Je peux revenir au présent et affronter les épreuves.

Le stress est toujours présent. Mais, je ne suis plus en grande souffrance.

Je réitère parfois certaines étapes plusieurs fois avant d’aller vraiment mieux.

Voilà les outils que j’utilise le plus ces dernières semaines. Outils que j’ai appris à mettre en place grâce à ma psy. Ma psy qui s’en va.

Elle fait partie de ma vie depuis que tout va mieux. Elle a connu les dernières années de violence. Puis, elle a vu comment je me suis sortie de tout ça, comment j’ai construit une belle vie. Elle m’a aidée et accompagnée à chaque étape de cette vie merveilleuse qui est la mienne aujourd’hui.

J’ignore à quoi ça ressemble, une vie heureuse sans elle. Et pire encore, à quoi ça ressemble de traverser des épreuves sans elle à mes côtés.

A chaque fois que je repense à sa future retraite, une boule d’angoisse m’étreint. Je hais les changements. Or, je vais traverser de nombreux changements dans les semaines qui viennent : démissionner de mon emploi de fonctionnaire (parce qu’un quart de salaire, c’est insuffisant pour vivre), m’engager en tant que salariée de mon association, et surtout… quitter ma psy et nos rendez-vous hebdomadaires si rassurants.

2023 a intérêt à être belle. Avec tout ce qui m’attend, elle a intérêt. Après tout, je mérite un peu de répit.

1 réflexion sur “Accumulation de mauvaises nouvelles”

  1. Eh bien. Tayiam. Que de péripéties. De bouleversements émotionnels. Je suis subjuguée par ton courage, ta vulnérabilité, tes mots. Tes mises aux points. La voiture a son langage. C’est tout. C’est fini dans ce sens-là. C’est trop fatigant. Mais. C’est pas cool. Cette panne et ses conséquences. Les lunettes. La vue. La vie. Je suis touchée par ta façon de traverser les relans traumatiques. Les éruptions émotionnelles. Quel courage. Une force de vie qui m’impressionne. Je sais ces envies de mourir pour ne plus souffrir. Je sais. Ces instants de terreur qui bouleversent tant de jours. Je sais ces moments. Où. Je veux plus être admirée. Plus être celle qui doit remonter de son obscurité. Je veux plus…Continue. Avec ton association. Devient sa salariée. Poursuis le travail commencé. Continue. Je perçois que c’est difficile. Même ces difficultés là. Ne dureront pas. Ton écriture donne envie de connaître la suite. Elle est fluide. Baignée de sensibilité, d’émotions, de force, de résilience, d’authenticité. Elle te révèle. Écris. Continue. Tu es inspirante. Par ta façon de nous emmener sur ta route et celle de ta famille. A très vite. Sur la route de tes mots. Bisous2023. Corinne Jean ✍️

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut