Colère

Je sors de chez ma psychiatre. Nous avons discuté, encore, de dissociation. Mais aussi de rapport au corps, de gestion du temps et d’autres choses plus légères.

Je rentre chez moi. Je me plonge dans un livre que j’ai acheté ce week-end et qui traite de dissociation. Malgré deux ans d’accompagnement par quatre thérapeutes différents, j’apprends encore énormément de choses à travers ce livre. Je me comprends. Enfin.

Je fais des liens entre certains de mes comportements que je ne comprenais pas et mon état émotionnel. Une partie de ma vie s’éclaire. Mon mariage, par exemple, et le détachement émotionnel dont j’ai fait preuve, comme si tout cela ne comptait pas ou n’était pas vraiment réel.

Le livre est passionnant. Il traite de toutes les façons dont la dissociation s’exprime et comment on peut traiter ça pour réunir enfin toutes les parties de soi qui se sont dissociées face à l’horreur vécue.

Je prends un carnet. Un de mes beaux carnets. Autant joindre l’utile à l’agréable. Je vérifie que je peux y écrire au stylo plume et c’est le cas. Bonheur. J’aime écrire au stylo plume. A l’ancienne.

Je noircis plusieurs pages de remarques et de liens que je fais suite à la lecture des paragraphes qui se succèdent.

Et soudain, une colère noire m’envahit.

Purin ! Je suis là, à passer des heures à me comprendre et à soigner le mal qu’on m’a fait.

La société, qui ne m’a pas protégée, ne prend même pas la peine de m’accompagner correctement. Mon emploi (de fonctionnaire, donc payé par l’Etat, celui qui ne m’a jamais prise au sérieux et a permis à mes agresseur.es de continuer en toute impunité), ou plutôt mes employeurs ne comprennent pas que je puisse mettre autant de temps à guérir. Je paie tous ces soins de ma poche, sans que la sécurité sociale n’intervienne. Plus exactement, je paie 600 euros chaque mois. Je suis remboursée de 150 euros une fois par an ! Je n’ai aucune reconnaissance de mes troubles ni de mon état.

Et mes agresseur.es, pendant ce temps ? Ils se la coulent douce !

Ma mère est probablement en train de vaquer à ses occupations manuelles, à tricoter ou crocheter un ènième truc moche qu’elle offrira avec un sourire mielleux à l’une ou l’autre personne, donnant l’impression qu’elle accorde du temps à ces gens alors qu’elle ne le fait que pour s’occuper d’elle-même.

Mon beau-père est probablement mort quelque part.

Son neveu contacte mes soeurs et cherche à me contacter comme s’il était normal de continuer à parler à ses victimes et à leur rappeler encore et encore les viols qu’on a commis.

Ces gens ne dépensent pas un centime pour aller mieux. Pire encore, ils ne dépensent pas une minute pour ça non plus.

Si, au cours de ces 18 dernièers années, j’avais pu ne pas payer mes soins (indispensables), je serais probablement propriétaire d’une maison à Bruxelles avec jardin. J’aurais une carrière autrement plus brillante que celle qui s’offre à moi en ce moment. Et je ne serais pas dans un tel état de colère, aujourd’hui.

Pourquoi c’est aux victimes de payer encore et encore le prix des agressions. Pourquoi ?

J’ai aussi envie que ma vie soit simple. De ne pas pleurer au souvenir de l’un ou de l’autre, pétrie d’angoisses et de terreurs. J’ai aussi envie de pouvoir programmer des vacances dans un endroit chouette (au lieu de quoi, je compte mes sous pour m’offrir un week-end tous les deux ou trois ans….). J’ai envie de passer du temps à apprendre, lire pour le plaisir de la détente ou de l’intellect. J’ai envie d’avoir du temps pour me poser, prendre soin de moi et des autres.

Au lieu de quoi je passe le plus clair de mon temps à guérir, tout en recevant de part et d’autres des remarques sur le fait que, quand même, je prends du temps, hein, il est pas temps que j’aille enfin mieux ?

Alors, oui, clairement, je vais mieux maintenant qu’il y a deux ans. Clairement, le chemin parcouru est impressionnant, même pour mes yeux tellement exigeants. Clairement, mes facilités intellectuelles y sont pour beaucoup.

Cependant, j’ai encore des choses à travailler. Du temps à y accorder. De l’argent à y dépenser.

Et c’est injuste. Particulièrement injuste.

Et ça me fout en colère. D’une colère noire dont je ne redescends pas depuis hier. Des larmes de rage coulent sur mes joues au moment où j’écris ces mots.

Pendant que ma génitrice peut oublier tranquillement ce qu’elle m’a fait subir.

Je suis en colère. Et je ne suis pas sûre que ma colère s’éteindra de sitôt.

1 réflexion sur “Colère”

  1. Apprendre a les identifier, a leur faire confiance et a les exprimer est essentiel pour mener une vie epanouie et devenir des adultes equilibres. Cet apprentissage debute des l’enfance. Cet article est base sur le livre de Christel Petitcollin « Emotions, mode d’emploi ». En tant que parents, nous commettons parfois des erreurs de langage qui transforment la relation entre les enfants et leurs emotions. Nos comportements declenchent, par exemple, de la honte et de la culpabilite mal placees, qui sont pourtant des elements essentiels de la socialisation, pour peu, qu’elles interviennent dans le bon contexte. « L’objectif de la honte est de provoquer une sensibilite au regard exterieur et au jugement de nos pairs tandis que la culpabilite est un signal qui indique la transgression d’un interdit ou de la morale et une prise de conscience du prejudice qu’on peut creer a autrui. » Les emotions autorisees et interdites Les emotions parasites Les solutions. Colere. Ce soir, j’ai crie.

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