TW : Violences physiques et sexuelles
Ma participation écrite au projet Inktober.
Adolescente, je me sentais totalement « pas à ma place ». Les autres élèves semblaient évoluer dans leur vie avec une facilité déconcertante pour moi.
Le plus grave ennui de celle-ci était que son jean était de la mode de l’an dernier parce qu’elle n’avait pas encore eu le temps de faire les magasins avec sa mère. Pour celle-là, son ongle cassé en première heure de cours ruinait sa vie, en ruinant sa manucure, indispensable à son bien-être. Pour cette autre, encore, son père était atroce parce qu’il lui avait interdit de rentrer après 1h du matin, le soir du Bal des Rhétos…
Je les regardais avec tellement d’envie. Et une pointe de mépris que j’avais parfois du mal à dissimuler. Surtout lorsque l’un ou l’une me jetait négligemment : « Toi, tu ne peux pas comprendre combien c’est trop grave ! ». Pourtant, rien n’était plus vrai. Je ne pouvais littéralement pas comprendre.
Il m’a fallu du temps pour comprendre que je donnais aux autres la même impression de facilité dans ma propre vie. La plupart des gens ignoraient l’horreur de mon quotidien. Tout comme j’ignorais la réalité du leur.
Cette leçon m’est venue en pleine face d’une façon assez violente.
Nous étions en vacances au Maroc, dans la famille de mon ex-beau-père, qui m’accueillait comme l’une des leurs. Nous accueillions, pour quelques jours, de la famille éloignée, chose exceptionnelle. Dont une jeune fille de mon âge.
Elle était tellement belle ! Et gentille ! Elle avait toujours le sourire aux lèvres. Je crevais de jalousie ! Tout semblait tellement beau pour elle ! C’était injuste ! Pourquoi je ne méritais pas ce bonheur-là, moi ? Pourquoi je subissais des violences sexuelles quand elle avait la chance d’être simplement heureuse ?
Un jour, je m’en suis confiée à ma (belle-)cousine, un peu plus jeune que moi et dont j’étais très proche. Elle m’a dit : « Ah… Tu ne connais pas son histoire ? ».
Non, en effet.
Ce soir-là, j’appris que la jeune fille avait perdu prématurément sa mère. Son père s’était remarié à une femme violente. Peu après, son père était mort à son tour. Sa belle-mère s’était aussi remariée à un homme violent. Les deux adultes dorénavant en charge de la jeune fille refusaient de « payer » quoi que ce soit pour cette enfant. Ils l’avaient donc retirée de l’école et l’utilisaient à leur guise.
Une sorte d’esclave des temps modernes.
Elle était loin d’avoir une vie meilleure et plus juste que la mienne. Elle avait seulement choisi de profiter des bons moments avec nous.
Ce jour-là, j’ai compris qu’entre ce que les gens affichent et la réalité de leur vie, il peut y avoir un monde de différence.
J’ai (enfin) cessé de me croire la plus malheureuse du monde et de jalouseer les gens qui m’entouraient, continuant, cependant, à envier certains aspects de leurs vies mais plus leurs personnes entières.
Je me suis sentie idiote de ne pas l’avoir compris plus tôt. Et en même temps, cette leçon continue de m’accompagner et de me construire.