La ruelle – ACTober #4

Je n’ai jamais eu peur de la nuit, des ruelles sombres. En tout cas pas avant un certain âge. Pas avant qu’on ne me parle des dangers de la nuit.

Puis, on m’a parlé des risques. Alors, on m’a raconté que c’était dangereux.

Mais, en fait, le vrai danger, je le connaissais.

Être suivie dans la rue, j’en avais l’expérience. Par de parfaits inconnus pour moi que mon beau-père payait. Il voulait à tout prix démontrer que je n’allais pas à l’école, que je n’étais pas humaine et que j’avais des activités démoniaques en journée.

Souvent, le matin, je repérais l’un ou l’autre visage qui me suivait jusqu’à mon arrivée à l’école. Puis, je retrouvais ce visage jusqu’à mon retour à la maison. Mais, ils restaient lointains.

Sauf un jour. J’arrive à la station de tram de la Gare du Nord. L’escalator m’amène sur le quai. Un visage me sourit. Un homme d’une quarantaine ou cinquantaine d’années. Polie, je souris, comme à mon habitude.

Mais, son regard est insistant et malaisant. Arrive un tram. Ce n’est pas le mien. Mais, je grimpe dedans. Il me suit. Je descends. Il descend.

D’habitude, mes suiveurs sont plus discrets. Et mon instinct m’alerte particulièrement aujourd’hui.

Le tram suivant est le bon. Son corps cole le mien le long des trois arrêts qui me séparent de la Bourse. Arrivée à destination, je cours comme j’ai rarement couri. Je monte quatre à quatre les marches du premier escalator, puis du suivant. Je cours à en perdre haleine le long du couloir. Sans me retourner, je cavale le long des dernières marches qui me séparent de la Ville. Encore quelques mètres et j’arrive au coin de mon arrêt de bus.

Je me planque, à l’abri du “Ici Paris XL” pour reprendre mon souffle. Je passe timidement une tête pour voir s’il est encore là. Malheur ! Son regard est justement tourné vers moi. Il m’a vue et se dirige lentement vers moi.

Je cours vers la porte de mon bus et reste debout près de la sortie. Le bus démarre bientôt, mon suiveur à nouveau collé à mon corps.

Encore trois arrêts et me voici arrivée au Sablon. Je descends. Je me sens en sécurité. Erreur. Il descend. Ne sait-il pas qu’il y a une école ici ? Me revoilà à nouveau à courir. La peur me gagne petit-à-petit et se transforme doucement en terreur.

Je dévale la rue jusqu’à l’entrée de mon école. Je me retourne et je le vois à quelques mètres de moi, avançant à son rythme.

Je grimpe alors les marches de l’entrée de mon école et cours jusqu’au milieu du couloir principal. Là, je me sens en sécurité. J’aime ce lieu. Je reprends donc mes esprits. Je me force à respirer calmement pour m’apaiser. Mais sans succès. Mon corps est persuadé que je suis encore en danger.

Pour me rassurer, je me retourne. Mon visage est collé à des petits boutons blancs qui ferment une chemise rose. Celle de mon suiveur qui, calmement, me regarde.

Là, je perds mes moyens. Je hurle au milieu du couloir. Et je cours jusqu’à mon local de cours. Arrivée près de mes amies, je m’effondre au sol en pointant mon suiveur du doigt. Je suis incapable d’articuler le moindre son.

Mes amies s’accroupissent autour de moi. Mon suiveur me cherche du regard. Une professeur me voit. Elle demande ce qui se passe. Je pointe toujours l’homme du doigt. Elle le regarde et se demande qui il est. Elle part rapidement alerter la Proviseur et le Préfet.

La direction intervient rapidement. Je reprends petit-à-petit mes esprits. Je me sens entourée d’adultes bienveillants et mes amies me réconfortent.

Evidemment, la Proviseure me reproche de ne pas avoir alerté le conducteur du bus ou du tram. Ou d’avoir courru jusqu’à mon local de cours alors que le bureau du préfet était juste à côté de l’endroit où j’ai hurlé. Mais, hormis ce passage discutable, la prise en charge est parfaite. On me rassure, on me protège. Pendant ce temps, la police est appelée.

Il s’avèrera que le monsieur était recherché par la police et qu’il était dangereux. Mon instinct m’avait bien alertée.

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