TW : violences physiques
La plus violente scène de violence (si tant est qu’on puisse les comparer et les hiérarchiser) est l’une des dernières que j’ai vécue.
J’avais 19 ans. Je vivais à la rue, dans un squat que le mari de ma mère m’avait attribué : un vieux grenieux dégueulasse sans eau potable. J’en reparlerai.
J’avais le droit, malgré tout, de venir après l’école. Enfin, le « droit »…
Je rentrais de l’école, faisais les courses, accompagnais mes petites soeurs dans leurs devoirs, faisais le ménage et le repas. Et je pouvais manger le repas. Et même regarder un mini peu la télévision (du moins, le programme choisi par ma mère). Quelle luxe ! Tous les deux jours, j’avais même le droit de me laver…
Nous étions en novembre. La veille ou l’avant-veille du 20 novembre. Cette date est ancrée parce que je venais de rater mon année. Mes copains de classes étaient quasiment tous rentrés à l’Université. Or, traditionnellement, le 20 novembre, les anciens de l’école viennent nous voir, pour fêter la Saint-V, fête floklorique de l’ULB.
Il faisait froid. J’avais mis un pull à l’école. Mais, occupée devant la chaleur des founeaux, j’ai ôté mon pull que j’ai déposé sur la chaise de la cuisine. J’ai oublié que je l’avais posé là lorsque le repas a commencé. Mais, à vrai dire, vu le froid de canard, dehors, je l’aurais de toute façon ré-enfilé avant de sortir.
J’ai servi les enfants, j’ai servi ma mère puis je me suis servie. Je venais de m’asseoir dans le fauteuil pour manger (nous n’avions pas de table à manger et mangions au sol ou dans le fauteuil), la clé de la porte d’entrée a tourné dans la serrure : mon beau-père rentrait. A son allure, je savais qu’il était dans une mauvaise phase. Mais, j’espérais qu’elle ne serait pas trop violente. La dernière fois qu’il m’avait frappée ne remontait qu’à 15 jours à peine. C’était peu entre deux phases de violence physique.
Pourtant, mon instinct ne me trompait pas. Il a marché vers la cuisine. Mon coeur s’est arrêté. J’ai pressenti la catastrophe. Aucune bouchée n’arrivait à mes lèvres, clouées par la peur.
Il est revenu, l’oeil mauvais, tenant mon pull au bout de ses doigts, comme s’il s’agissait d’un sac puant.
« C’est quoi ça ? »
« Euh, mon pull », ai-je répondu d’une petite voix.
« Un pull ?? Et qu’est-ce qu’un pull vient faire dans la cuisine ? C’est l’endroit où on doit trouver des pulls ? »
« Je suis désolée. Je faisais le repas et j’ai eu un peu chaud mais, je vais le reprendre. »
« Ah oui ? Tu vas le reprendre ? çè!è!’§(§è [insultes en arabes] »
Il a contourné la table pour m’attraper. J’ai tenté de le fuir. J’ai tenté de le raisonner. Mais, rien n’y a fait.
« Tu cherches qu’à détruire ma vie. Depuis le début. Là encore. Moi, je veux que la cuisine soit une vraie cuisine. Et toi, tu laisses ton pull dans la cuisine. Alors, la cuisine n’est plus une vraie cuisine. C’est bien la preuve que tu veux me détruire » (cette litanie était répétée en boucle).
Il a réussi à m’attraper. Il m’a donné plusieurs coups de poings dans les côtes. L’une d’elles s’est cassée. Il a attrapé ma tête et a cogné le mur de toutes ses forces.
Je me suis débattue. Comme une lionne. Il a réussi à arracher le téléphone mural avec ma tête, tellement les coups qu’il me portait étaient forts. Il a tenté de m’étrangler. Mais, j’ai attrapé la peau de sa poitrine et j’ai serré de toutes mes forces, jusqu’à ce qu’il me lache de douleur et que je puisse enfin respirer.
Mes petits frères et soeurs ont assisté à toute la scène, impuissants. A plusieurs reprises, ils et elles ont tenté de calmer leur père. En vain.
Je suis rentrée dans mon squat couverte de bleus, meurtrie de douleurs.
Lorsque, le 20 novembre, mon meilleur ami m’a serré dans les bras pour me dire bonjour, une larme a dégringolé toute seule sur ma joue, tellement la douleur était lancinante.
J’ai consulté un médecin et j’ai obtenu un certificat médical.
J’ai aussi demandé un rendez-vous avec l’assistante sociale du PMS (centre psycho-médico-social) de mon école.
Je n’en pouvais plus. Sa violence devenait de plus en plus incontrôlable. Je me suis vue mourir. Alors, j’ai accepté, pour la première fois, de quitter partiellement cet enfer. Je n’étais plus en mesure de rester. Et puis, je me disais que si je partais, mes frères et soeurs seraient mieux protégés. Après tout, sa colère à lui n’était dirigée que vers moi.
Mais, je ne pouvais pas non plus laisser ces enfants seuls. Alors, j’ai choisi l’option de l’internat : j’aurais une chambre et un lieu sécure pour moi, du lundi au vendredi, et je prendrais soin de mes frères et soeurs les week-end et les vacances… J’en reparlerai aussi.